Qu’est-ce qu’être quaker ? Faut-il, pour cela, être membre de la Société religieuse des Amis ? Mais que cela suppose-t-il ? Dans le post que nous traduisons ci-dessous, Sam Barnett-Cormack tente d’apporter quelques réponses à ces épineuses questions.
Il y a de nombreuses manières d’appartenir à la famille quaker. Il y a ceux qui font partie de notre communauté sans pour autant s’identifier à notre foi, des compagnons de route qui participent à certaines de nos activités, sinon toutes, mais qui ne se considèrent pas comme quakers. Il y a ceux qui ont des croyances religieuses fortes, dans l’esprit de celles des premiers Amis. Il y a ceux qui se considèrent comme quakers, mais qui rejettent la nature religieuse de leur expérience, ou encore ceux qui reconnaissent sa nature religieuse, mais qui attendent toujours, patiemment, de faire directement l’expérience du divin. Il y a, bien sûr, la distinction entre membre et sympathisant, et encore d’autres termes que nous utilisons informellement — « nouvel arrivant » et « curieux » étant assez fréquents.
Il semble pourtant que nous manquions d’une vision cohérente pour rendre compte de ces différentes dimensions de l’appartenance à la communauté quaker, de l’identité quaker. Dans ce post, j’explorerai quelques éléments de cet « espace d’appartenance » [“belonging space”], pour emprunter la terminologie mathématique.
Certains quakers estiment que les termes « quaker » ou « Ami » devraient être réservés à ceux qui sont formellement adhérents de la Société religieuse des Amis. Personnellement, je ne crois pas que ce soit un bon étalon ; par expérience, le fait d’être adhérent est une affaire aussi bien administrative que spirituelle, or être quaker est plutôt une question de disposition interne en matière de spiritualité. D’un autre côté, faire reposer l’identité quaker exclusivement sur une auto-identification n’est pas sans soulever de problèmes. Quand bien même il existerait un test approprié (et j’esquisse quelques possibilités plus bas), on ne pourrait tenir pour acquis que tous le passeraient. En outre, je doute que quiconque pourrait prétendre faire passer ce test sinon l’individu lui-même, soit parce qu’il requerrait une introspection, soit parce qu’il serait fondé sur une expérience subjective.
Le fait d’être adhérent est une dimension de l’espace d’appartenance quaker, mais c’est une dimension binaire (sauf, peut-être, dans ces assemblée annuelles où l’on peut encore être quaker de naissance). Quelles sont les autres dimensions, et comment s’articulent-elles entre elles ?
Une dimension évidente est la dimension sociale, communautaire. Il ne fait aucun doute que nous pouvons décrire une personne comme quaker si elle fait partie de notre communauté — si elle est impliquée dans nos activités, si nous la connaissons et la considérons comme « l’une d’entre nous » d’un point de vue social. On ne peut pas savoir ce que ces personnes font, en leur for intérieur, pendant les réunions de recueillement ; on ne peut pas savoir la manière dont elles conçoivent cette pratique. Mais si elles viennent régulièrement, si elles n’agissent pas d’une manière qui nous semble contestable, si elles restent après [la réunion] et se joignent à nous pour le café, si elles discutent avec nous, si elles participent à nos événements sociaux et s’engagent à nos côtés, alors elles font partie de notre communauté. Ce n’est pourtant pas une dimension très satisfaisante, sauf si l’on considère que la Société religieuse des Amis est un simple club ou une assemblée de militants (et que l’on se satisfait de cette définition) — je ne pense pas que ce soit le cas, et je ne pense pas non plus que ce serait une bonne chose.
Une autre dimension qui semble évidente est celle des croyances, bien qu’on ne voie pas très bien qu’en faire étant donnée la diversité des nôtres. On peut cependant distinguer assez facilement un ensemble de croyances de base, aussi clairsemées et vagues soient-elles. Pour qu’une personne puisse s’intégrer, d’un point de vue religieux, aux Amis, il faut qu’elle croie que quelque chose existe en vertu de laquelle les réunions de recueillement, et peut-être encore plus les réunions de recueillement pour les affaires, sont quelque chose de plus qu’un simple groupe de personnes assises ensemble et disant ce qui leur passe par la tête. Je sais qu’il existe des Amis pour qui c’est aller trop loin que d’évoquer ce quelque chose, mais je ne peux, en toute conscience, admettre qu’il est superflu ; je le considère comme éminemment nécessaire. Cela dit, ce quelque chose n’est peut-être pas ce que l’on considérerait comme paranormal ou surnaturel au sens courant de ces termes, ou transmondain, comme je le dis parfois ; pour certains, c’est simplement une meilleure partie, une partie plus sage de notre propre esprit, à laquelle il n’est pas facile d’accéder. Mais c’est bien quelque chose, et c’est cela qui fait que notre méthode pour traiter les affaires n’est pas qu’une forme étrange de consensus. De la même manière, nous pourrions tenir pour acquis que l’identité quaker requiert un certain degré de pacifisme, ainsi qu’un certain degré de croyance en l’égalité, bien qu’il serait dans ce cas plus difficile de préciser où nous devrions placer le curseur.
Adhésion, communauté, croyance — est-ce tout ? Je soupçonne que beaucoup d’entre vous — tout comme moi — sentent instinctivement que ce n’est pas le cas. Une autre dimension pourrait être la discipline, l’engagement à mettre sa vie entière sous la direction de l’Esprit (quelle que soit la manière dont on comprend ce « quelque chose »). Il y a aussi la discipline collective, l’engagement à se soumettre, dans une certaine mesure, au discernement collectif de son assemblée — de chaque « niveau » d’assemblée, bien que le degré d’autorité de chaque « couche » varie entre les traditions, les pays, les zones géographiques, et les sujets abordés. C’est quelque chose qui distingue la voie quaker d’autres traditions confessionnelles estimant que l’on peut vivre sous la direction divine ; nous croyons à la fois à la direction et à la révélation individuelles, et à l’utilisation d’une discipline collective pour mettre à l’épreuve cette direction et en faire bénéficier notre communauté dans son ensemble. Pour moi, s’engager en faveur de cet équilibre et de cette discipline sont un aspect de l’identité quaker.
Tous ces éléments sont liés. Adhérer nous enracine plus fermement dans la communauté, et l’on ne laissera peut-être pas adhérer quelqu’un qui ne s’y est pas impliqué. La nature de notre discipline est liée à notre implication dans les réunions de recueillement pour les affaires aussi bien que dans nos activités communautaires. Nos croyances sont clairement liées à notre implication dans ces processus. Et ainsi de suite. Mais il manque encore un élément très important, une dimension majeure de l’identité quaker.
Vous avez probablement deviné ce dont il s’agit, puisque cela figure dans le titre de cet article : la conviction. Mais qu’est-ce que la conviction ? L’usage que nous faisons de ce terme pourrait laisser penser qu’il s’agit d’une acceptation rationnelle des propositions clés du quakerisme, mais j’ai l’impression que l’on manque ainsi la vraie nature de l’expérience. Pour moi, la conviction est en un sens une forme de « renaissance », pour le dire comme certaines sectes chrétiennes. D’un autre côté, je ne crois pas que cela requière un chemin de Damas. Pour certains, il y a cette prise de conscience soudaine qu’il y a quelque chose au-delà. Pour d’autres, c’est un processus graduel qui les conduit, un jour, à prendre conscience qu’ils ont compris quelque chose. Il se peut que cela soit plus difficile pour ceux qui ont été élevés parmi des quakers, puisqu’ils n’ont pas eu à venir à notre communauté à partir de l’extérieur, mais je pense tout de même que cela reste valable.
Il se peut que certains aient les croyances qui forment le noyau du quakerisme d’un point de vue fonctionnel ; appartiennent à notre communauté ; s’impliquent dans toutes nos activités ; voire soit adhérents de notre Société (bien que je discute plus bas du fait que ce soit approprié) ; et qui, pourtant, n’ont pas fait cette expérience. Elle n’est certes pas requise pour participer à nos activités religieuses les plus solennelles. Certains sont quakers depuis des dizaines d’années sans pour autant avoir fait l’expérience dont je parle, bien qu’ils puissent s’attendre à la faire à chaque instant.
Cette expérience est simple, mais extrêmement profonde. C’est ce que les premiers Amis enseignaient, ce qui était au cœur de la nouvelle voie qu’il ouvraient. C’est simplement l’expérience directe du divin, ou de Dieu, ou de l’Esprit (saint), quel que soit le nom que vous voulez lui donner. Pour moi, la définition la plus convaincante de la conviction, c’est la prise de conscience — parfois plusieurs années plus tard — que vous avez fait cette expérience et qu’elle vous a conduit à cheminer parmi les Amis, à faire partie de notre communauté et à partager notre discipline. Ce dernier point est important, car bien que ces expériences du divin existent dans de nombreuses confessions — même dans celles qui n’y accordent pas une grande importance dans leur enseignement —, elles ne font partie d’une conviction quaker que si elles mènent à la voie quaker.
Il n’est pas nécessaire que cette expérience soit bouleversante ; il n’est pas nécessaire d’avoir le sentiment d’être devenu une nouvelle personne. Cette expérience peut être faite par petites touches, de manière régulière. Il peut être difficile de l’identifier comme telle. En ce qui me concerne, je l’ai faite plusieurs fois lors de réunions quakers, de simples réunions de recueillement aussi bien que des réunions pour les affaires (je ne dirais pas pour autant qu’à chaque fois que j’ai été poussé à prendre la parole, c’était en raison d’une telle expérience). D’autres fois, j’ai fait cette expérience à l’occasion de réflexions solitaires (j’ai même écrit un post sur ce qui me semble avoir été ma première expérience de la sorte). D’autres fois encore, c’était en réaction au monde naturel, ou à des œuvres majeures de l’ingéniosité humaine. Il ne faut pas considérer ces expériences comme des buts inaccessibles. En fait, toute éducation religieuse — si l’on s’engage dans cette voie — devrait nous aider à reconnaître des expériences que nous n’avions pas identifiées comme telles.
Je ne dis pas qu’on ne peut pas être quaker si l’on ne fait pas cette expérience. Il est possible d’y croire de tout cœur sans pour autant l’avoir expérimentée. Et il est possible de réagir à cette croyance en craignant cette expérience, ou bien en la cherchant — ou même les deux. Si l’on est prêt à la chercher, ou que l’on y est au moins ouvert, alors on peut être quaker, dans tous les sens du terme. Il peut être préférable, néanmoins, de ne pas décrire ces personnes comme « convaincues ». On pourrait identifier ceux qui pensent avoir eu ce genre d’expérience comme des quakers par conviction, et les autres comme des quakers par inclination, ou par habitude.
En esquissant cette distinction, je suggère évidemment qu’elle est importante, et que j’y crois. En voyant les choses sous un angle chrétien, on pourrait considérer qu’il s’agit là du baptême de l’Esprit saint, et qu’en ce sens, la foi quaker est profondément pentecôtiste. C’est un changement de perspective certain. Mais, pour être tout à fait clair : je ne fais pas cette distinction pour placer un groupe au-dessus de l’autre. Cette expérience altère le caractère l’expérience spirituelle de celui qui la fait, mais elle n’altère ni sa validité, ni sa valeur. Elle l’affecte profondément au sens où, d’après ce que j’ai constaté, elle le pousse à espérer reproduire de telles expériences — à les chercher, à trouver des manières d’accroître leur probabilité et leur fréquence —, mais elle ne le rend pas meilleur, en tant que personne ou en tant que quaker, que ceux qui cherchent la vérité sans pour autant avoir fait cette expérience.
Cela dit, on pourrait défendre l’idée que l’adhésion [à la Société religieuse des Amis], fréquent sujet de débats et d’incertitude quant à sa valeur et à sa mise en œuvre (comme j’en ai déjà discuté), pourrait devenir quelque chose qui découle de cette expérience, de cette conviction. La foi quaker est fondée sur la possibilité d’une expérience directe du divin, et je suis d’accord avec ceux qui ont le sentiment — et déplorent — que, de nos jours, cette dimension a été reléguée au second plan par les quakers de toutes les traditions. Si cette expérience devait être une condition préalable à l’adhésion, sa primauté serait par là même réaffirmée, et l’adhésion deviendrait quelque chose de plus que la [simple] affirmation du souhait d’appartenir à notre communauté. Il ne serait pas possible de la tester, elle ne pourrait être qu’interrogée et affirmée, mais cela pourrait être fait avec tout la solennité requise.
Cette approche n’est pas sans poser quelques problèmes. L’un d’entre eux est que nos membres sont d’ores et déjà nombreux, et qu’il est difficile de savoir combien d’entre eux ont fait cette expérience, et reconnaîtraient en eux le genre de conviction que je décris. Si cette expérience devait devenir une sorte de « test », faudrait-il le faire passer à tous nos membres actuels ? Cela serait-il problématique de distinguer les « anciens » membres de ceux qui auraient affirmé ce genre de conviction ? C’est un grave problème, mais ce n’est pas le seul. Il pourrait aussi arriver que certains, qui auraient fait cette expérience, ne l’identifient pas comme telle parce que la description que nous en ferions ne leur parlerait pas. Notre conception du divin étant extrêmement diverse, comment décrire cette expérience d’une manière telle qu’elle parle à tous les Amis ? Cela supposerait que nous mettions en place, dans nos assemblées, une éducation religieuse bien plus intensive qu’actuellement, et que nous indiquions clairement à nos membres et sympathisants qu’il serait bon qu’ils y participent. Non pas que ce soit une mauvaise idée, mais je crois qu’il serait difficile de convaincre la plupart des Amis de son importance.
Il n’en reste pas moins qu’il s’agit là d’une expérience subjective. C’est un problème insoluble, à moins que nous ne croyions que cette expérience engendre, à chaque fois, un changement extérieur que nous pourrions tester — et même dans ce cas, comment identifier ceux qui feraient semblant ? À un moment donné, il faut simplement avoir confiance les uns dans les autres.
Comme je l’ai déjà mentionné, cela pourrait poser un problème particulier à ceux qui ont été élevés parmi les Amis. Il est possible que ceux-là, susceptibles d’avoir fait cette expérience depuis leur plus jeune âge, aient du mal à l’identifier, alors que ceux d’entre nous qui ont été « convaincus » à l’âge adulte ont expérimenté ce changement avec un esprit plus mûr. Nous devrions prendre ce fait en compte et apprendre aux enfants de nos assemblées à identifier ce type d’expérience, afin qu’ils soient capable de dire s’ils l’ont fait. Ma femme a été élevée parmi les Amis, et elle me confie qu’elle est incapable de dire avec certitude si elle a fait une expérience de la sorte. Je pense pour ma part qu’elle en a fait depuis un si jeune âge qu’elles sont absolument normales pour elle.
Il reste enfin que le fait d’adhérer est une déclaration d’engagement, un rite de passage, un accueil et une forme d’appartenance. Cela est précieux ; enlever cela à ceux qui seraient incapable de dire s’ils ont fait une expérience telle qu’ils sont à présent « convaincus » serait une grande perte.
Nous pourrions peut-être, dans ce cas, avoir deux formes d’adhésion, orthogonales l’une à l’autre, reconnaissant ces différentes étapes, mais cela compliquerait alors terriblement les choses. Finalement, je ne défend pas l’idée de changer nos pratiques et nos processus. Je ne suggère aucun test nouveau pour savoir qui est quaker, ni ne réclame un changement dans nos pratiques d’adhésion. Je dis simplement que c’est quelque chose que nous devrions reconnaître, et dont nous devrions parler, sans jamais l’idolâtrer. Je ne prétends pas avoir de réponse, mais c’est quelque chose qui mérite réflexion, à mesure que notre société religieuse avance dans l’Esprit.
Sam Barnett-Cormack est un quaker de Lancaster, au Royaume-Uni. Il est l’auteur du blog Openings