Notre Amie Elisabeth s’est récemment lancée dans une série de recherches sur l’action quaker dans le Saint-Nazaire de l’après-guerre . Elle nous livre ici les premiers résultats de ces recherches, qui révèlent tout un pan de l’histoire récente des quakers dans notre région. Cet article est initialement paru dans le numéro d’avril 2020 de la Lettre des Amis.
Alors que je me trouvais il y a quelques mois, chez des amis à Saint-Nazaire et bien qu’habituellement nous n’abordions jamais de sujets religieux, je leur ai dit que j’avais changé de religion pour devenir quaker. Je m’attendais à la réponse habituelle : « Qu’est-ce que c’est ? », mais en fait non… Après un léger silence, mon amie a répondu : « Tu sais, les quakers ont été très actifs à Saint-Nazaire de 1946 à 1953. » J’ai alors pris connaissance par eux de cette action du service quaker dont leurs aînés avaient bénéficié et de l’existence d’écrits la relatant, parus dans un livre de Joël Anneix et Daniel Sauvaget intitulé Saint-Nazaire au temps des baraques (2009) et dans le numéro de janvier 2016 d’une revue historique et patrimoniale de la région, textes que j’ai découverts peu de temps après.
J’ai également fait des recherches sur le sujet, à la bibliothèque de la ville et sur internet, et c’est ainsi que tout un pan de cette histoire quaker s’est révélée à moi. Beaucoup d’anciens Nazairiens ont gardé des souvenirs de ces quakers américains qui les ont aidés durant les années difficiles de l’après-guerre. Ceux qui sont encore parmi nous étaient alors des enfants ou de jeunes adultes. Deux d’entre eux sont les auteurs des textes évoqués par mes amis. Ils ont commencé il y a plus de 10 ans à collecter des photographies et des témoignages sur l’époque des logements provisoires afin d’écrire le livre Saint-Nazaire au temps des baraques. Ils ont fait en 2007, une exposition photographique sur ce sujet, qui a accueilli plus de 2000 personnes en 5 jours. Parmi tous les sujets évoqués, il y avait les quakers. Tous les témoignages reçus sur place ont montré combien les quakers étaient encore présents à leur mémoire avec toujours beaucoup de reconnaissance à leur égard. C’est ainsi que pour leur rendre hommage, un chapitre entier du livre en préparation leur sera consacré.
Ces deux auteurs ont fait un long travail de recherche sur nos Amis, auprès d’anciens habitants de ces baraques provisoires et trouvé dans les archives de la ville et du département des articles de journaux locaux de l’époque qui en parlaient. Ils ont reçu des centaines de photographies prises par des particuliers qui avaient profité de l’aide bienveillante des quakers. Ils ne savaient trop, en transcrivant parfois phonétiquement les noms propres, si l’orthographe était la bonne. Un des auteurs a pour cela vérifié dans les archives en ligne du Service des volontaires quakers (Quaker Voluntary Service), la plupart des noms et en a trouvé de nouveaux non évoqués (il a ainsi découvert que certains quakers avaient participé au déblaiement de la ville) car il tenait à parler d’eux du mieux qu’il pouvait.
Nos deux auteurs ont fait d’autres expositions dans la ville de Saint-Nazaire, évoquant cette époque et nos Amis d’antan. Cela leur a permis de recevoir de nouvelles photographies et témoignages. C’est ainsi que le numéro de la collection historique paru plus tard que le livre est plus détaillé et comporte une dizaine de pages sur les quakers à Saint-Nazaire de 1946 à 1953.
L’arrivée des premiers quakers et de leurs camions
Pourquoi des quakers sont-ils venus à Saint-Nazaire durant la période de l’après-guerre ? La ville de Saint-Nazaire, durant la dernière guerre, était occupée par les Allemands qui y avaient construit une vaste base sous-marine que les forces alliées voulaient détruire. La ville a ainsi été pratiquement entièrement détruite par les très nombreux bombardements britanniques et américains dans les années 1942-1943. Les bombardements ont laissé la ville détruite à 85 %, entraînant l’exode forcé des populations sinistrées qui ont dû se réfugier dans les communes avoisinantes ou parfois plus éloignées selon la disponibilité des lieux d’accueil. La région de Saint-Nazaire a été la dernière de France à être libérée, en mai 1945, après être restée, pendant de nombreux mois, occupée par les Allemands dans une « poche ». Le pays souffrait alors d’une grave pénurie de transport.
J’ai trouvé sur internet des textes traitant de l’intervention des quakers à Saint-Nazaire, dont un article paru en novembre 1948, dans un journal de la région appelé Le Peuple breton, qui évoquait nos Amis et leur rendait un hommage émouvant. Il est ainsi noté que la ville de Saint-Nazaire avait été choisie par un certain nombre de ces quakers pour être une sorte de centre d’apprentissage, où ils ont pu s’initier aux techniques de rapatriement des populations avant d’aller secourir plus loin les populations déplacées d’Europe. Ainsi Saint-Nazaire est devenu un « chantier quaker ». Un passage de cet article remarque que « les quakers jouissent à Saint-Nazaire, dans les milieux ouvriers comme les commerçants ou industriels, chez les laïcs comme chez les catholiques, d’une popularité que jamais personnalité politique, artistique, municipale ou autre, ne parvint à obtenir : elle est faite d’admiration, de respect et d’infinie gratitude ».
Les premiers quakers sont arrivés dans la région de Saint-Nazaire dès le début de l’année 1946, afin d’aider les populations déplacées à revenir dans leur commune d’origine. Ils ont tout d’abord été eux-mêmes hébergés dans une villa du Pouliguen qui avait été réquisitionnée et que L’Entr’aide française leur avait procurée. Ils disposaient alors de sept camions GMC de 7,5 tonnes portant l’inscription « Quaker Transport ». Quelque temps après, des baraques provisoires ont été installées par les autorités françaises dans certains quartiers de la ville de Saint-Nazaire, les maisons détruites ne pouvant être reconstruites que bien plus tard. Les quakers ont aidé les populations à s’installer dans ces baraques, en procédant à leur déménagement depuis les lieux où ils avaient été évacués jusqu’à ces nouvelles baraques dans des quartiers proches des chantiers navals où beaucoup d’ouvriers travaillaient. Certains des quakers reconnaissaient qu’ils étaient venus précisément œuvrer dans cette ville car ils estimaient que leurs « frères » américains étaient en grande partie responsables de sa destruction. Ils ont aussi participé au ravitaillement et collaboré avec la Croix-Rouge.


J’ai découvert que le site du Secours quaker américain (AFSC) présentait un rapport de 43 pages intitulé Report on the St Nazaire Transport Project of the American Friends Service Committee — January 17 to June 4, 1947, écrit par Roger Craven, un des premiers quakers arrivés dans la région nazairienne. Il avait étudié à Nantes avant la guerre et enseigné l’anglais à l’école normale de Savenay, d’où sa bonne maîtrise du français. Certains passages de ce texte sont drôles (les déboires de deux hommes et leur camion) et d’autres émouvants. Le rapport note l’aide considérable apportée aux populations mais aussi aux hôpitaux dont le sanatorium de Pen-Bron qui accueillait des centaines d’enfants malades et orphelins et dont les quakers ont effectué la totalité des livraisons de matériels, meubles, appareils médicaux, etc. Cet hôpital était tenu par des sœurs de l’ordre de Saint-Vincent-de-Paul, qui n’avaient guère de revenus mais qui faisaient aux quakers de bons repas pour les remercier, ce dont ils leur étaient infiniment reconnaissants. Les quakers ont également effectué la moitié des livraisons de divers appareils et matériels pour l’hôpital de Saint-Nazaire. L’auteur du rapport remarque et souligne que les services de l’hôpital ont dû acheter des surplus de l’armée américaine alors que l’hôpital avait été entièrement détruit par les bombardements américains de 1943 ! L’auteur note à plusieurs reprises qu’il était très important de venir aider les populations de cette région pour leur donner une autre image de l’Amérique.
La création du Foyer des Amis d’Herbins
Les quakers se sont eux-mêmes installés dans une baraque provisoire sur une commune attenante à Saint-Nazaire (Trignac) dans un quartier nommé Savine, où ils ont créé un premier « foyer » avec salle de réunion, salle de jeux et bibliothèque qu’ils ont laissé à une association locale pour aller ensuite s’installer en janvier 1948 à Saint-Nazaire dans le quartier d’Herbins où ils ont créé un « Foyer des Amis » plus grand, que tous les Nazairiens d’alors connaissaient. Ce foyer était à vocation sociale et de loisirs. Les quakers ont ainsi favorisé les échanges entre habitants et encouragé la réalisation de travaux avec des matériaux encore rares dans la région. Ils ont aussi bénéficié de l’aide d’un groupe de jeunes du Service civil international venu travailler à la remise en état du parc des sports de la ville. Ces jeunes ont ainsi pu agrandir le foyer et créer des douches.
Les quakers n’ont jamais été nombreux à Saint-Nazaire, quatre familles se sont succédées dans le foyer d’Herbins dont la dernière venue avec ses quatre enfants, qui ont été scolarisés dans l’école de la cité. C’était la première fois que des quakers envoyaient une famille avec des enfants. Ces couples étaient assistés par des bénévoles venus des États-Unis ou de Grande-Bretagne, ainsi que par des employés français ou des bénévoles de la cité.

Le grand magazine américain Life s’est intéressé à la mission nazairienne des quakers, ils ont ainsi envoyé en 1947 un photographe qui a immortalisé le déménagement d’une famille nombreuse (huit personnes) par un quaker et son camion. Le reportage est paru le 7 juillet 1947 et l’on peut le trouver en ligne sur internet.
En juin 1948, les quakers ont reçu la médaille de la Reconnaissance française des mains du maire de Saint-Nazaire, dans le foyer de la cité d’Herbins qu’ils avaient créé.
En 1949, un camion est toujours à la disposition des Nazairiens et un bilan réalisé en 1950 note qu’en quatre ans, les quakers ont effectué 1045 déménagements.
Ils ont été très appréciés par la population car ils proposaient leur service de déménagement gratuitement ou à prix modeste et ils prêtaient le foyer des Amis ou leur jeep à des associations ou pour des événements familiaux. Ils ont partagé la vie difficile de ces quartiers provisoires (les premiers temps dans le froid et la boue) et proposé de multiples aides sociales. Ils ont installé, puis prêté aux habitants qui l’ont gérée, une laverie automatique de plusieurs machines, ce qui était totalement nouveau pour eux. Ils ont proposé des centaines de livres dans une bibliothèque, ils ont créé un bassin d’eau pour les enfants, et encouragé la création d’un groupe musical qui est devenu plus tard le Bagad de Saint Nazaire.
De nombreux témoignages de reconnaissance sont donnés à leur égard, dont celui en 1947 du député de la région qui n’oublie pas au milieu d’un discours d’inauguration de baraquements scolaires, de remercier les quakers pour leur action dans la région au service de la population.
Des articles de la presse locale ont été consacrés au foyer quaker. C’est ainsi que sont évoqués des excursions pour les enfants, des veillées, des projections de films, des représentations théâtrales, des soirées dansantes. Une chorale a été créée, des fêtes et des défilés costumés ont été proposés ainsi que des cours d’anglais. Tout étant fait avec le concours d’autres associations et de bénévoles de la cité. Les quakers ont créé une amicale sportive en 1947. Ils ont également fait personnellement des concerts d’accordéon pour les enfants malades de Pen-Bron.
Le foyer a fait des dons de produits qui étaient alors rares comme du tissu. Ils ont mis au service de familles démunies des appareils ménagers comme des machines à coudre.
Le départ des derniers quakers et leur postérité
Lorsque les derniers quakers sont partis en 1953, ils ont laissé aux habitants le foyer et toutes les infrastructures attenantes, sous condition de continuer à les faire vivre. Ce qui a été fait jusqu’à la période où toutes les baraques provisoires ont été détruites, leurs habitants ayant déménagé dans des logements reconstruits de la ville de Saint-Nazaire.

Il y a peu de temps, peu avant le culte du dimanche du groupe de Paris, au Centre quaker international, la femme d’un des auteurs rendant hommage à nos Amis est venue nous voir. J’étais heureuse de prendre ainsi contact avec ceux qui ont fait ce long travail historique. J’ai depuis rencontré son mari (ils habitent en région parisienne) qui m’a donné des détails sur ce qu’il a vécu à cette époque, comme le fait d’avoir été à l’école avec un des enfants du dernier couple quaker. Ces échanges m’ont aidée à écrire cet article. Nous avons pu également constater que le rapport de 1947 de l’AFSC, dont il ignorait l’existence, avait été mis en ligne en 2009, ce qui devait répondre à la demande que nos auteurs leur avaient faite pour obtenir des compléments d’information sur l’intervention des Quakers à Saint Nazaire. Je lui ai donc donné une copie de ce rapport et j’ai appris depuis qu’il allait faire un nouvel article dans la revue historique de la région nazairienne, en commentant certains passages traduits de ce rapport. Nous avons ainsi pu mettre en commun nos connaissances. Comme il me demandait si des livres existaient sur l’histoire des quakers, je lui ai offert notre livre Expérience et pratique et la dernière Lettre des Amis tout en lui disant que beaucoup de compléments existaient sur internet.
Nous projetons d’organiser une conférence sur l’action de nos Amis en région nazairienne au Centre quaker international de Paris afin que nous en apprenions plus sur le sujet. Je rencontrerai bientôt à Saint-Nazaire le deuxième auteur ainsi qu’une vieille dame qui a des souvenirs très clairs de cette époque et de l’action des quakers. Je consulterai les archives de la ville pour retrouver de vieux articles de la presse locale concernant nos Amis. Il sera fascinant de reconstituer petit à petit tout ce fragment de notre histoire.
Un grand merci à nos auteurs Daniel Sauvaget et Joël Anneix, pour tout ce travail de recherche effectué durant tant d’années, qui a permis à cette action oubliée des secours quakers américains de revivre auprès de nous.
Elisabeth Marquier est membre de l’Assemblée locale de Paris ; elle partage son temps entre Paris et Saint-Nazaire, et se joint parfois aux réunions de recueillement de l’Assemblée de Nantes