
Dans un post précédent, notre Amie Céline s’interrogeait sur son rapport à la Bible. Notre Amie Sophie poursuit aujourd’hui la réflexion en se demandant ce qu’il faut répondre à quelqu’un qui découvre les quakers par le biais de leurs « livres de discipline », ces ouvrages souvent volumineux qui renferment pêle-mêle règles de fonctionnement des assemblées quakers et citations inspirantes d’Amis présents et passés sur ce qu’est vivre en quaker.
En tant que co-secrétaire de l’Assemblée de Nantes, je reçois le courrier adressé via le formulaire de contact de notre site internet. Parfois, j’y trouve des pépites : de longs messages de personnes qui nous livrent leurs réflexions et interrogations sur le quakerisme comme on jette une bouteille à la mer — les interlocuteurs quakers francophones sur ce sujet n’étant pas très nombreux !
Il y a quelques temps, j’ai reçu un message de Belgique. Une personne avait découvert les quakers et lu tout ce qu’elle avait trouvé sur le sujet. Ses propos faisaient preuve d’une érudition déjà grande sur notre mouvement, mais ses doutes montraient qu’au fond, une idée fondamentale lui avait échappée.
Un dialogue de sourds
Son message était le suivant : votre mouvement m’attire, mais je veux être sûr, avant de m’engager, que je suis en accord avec l’ensemble de vos idées. Ainsi, je me reconnais dans le courant non-théiste de votre mouvement, mais vos textes font souvent usage du vocabulaire chrétien traditionnel. J’aime la liberté de conscience que vous offrez, mais je suis inquiet quand je lis que le groupe doit exercer une « contrainte douce » sur ses membres. Et que penser de ces quakers qui continuent de condamner l’homosexualité ? A-t-on le droit d’exprimer des désaccords avec son assemblée ? Cette personne concluait ainsi qu’il lui semblait que « les quakers valent mieux que leur gros livre rouge » (référence au Faith & Practice des Britanniques ; en France, notre livre de référence, Expérience et pratiques, est rose, et nettement plus modeste en termes de volume).
Je me suis efforcée de répondre point par point à ses préoccupations : oui, quakers croyants — notamment chrétiens —, agnostiques et même athées cohabitent en bonne intelligence dans nos assemblées ; non, nous ne contraignons personne à assister à nos cultes ni à contribuer à nos finances ; oui, il est tout à fait possible d’exprimer des désaccords avec son assemblée.
J’ai bien senti que je ne le convainquais pas. Et pour cause : le problème ne se réduisait pas à ces questions prises isolément. Il était plutôt que cette personne tentait de saisir l’essence du quakerisme par le biais de ses textes, voire carrément de la réduire à ceux-ci. Ce faisant, elle ne cessait de tomber sur des passages, anciens ou récents, qui lui montraient que les quakers étaient moins lisses que cette image de sainteté béate qu’en a la culture populaire (avez-vous regardé la récente série policière britannique Paranoid ? Le personnage de la quakeresse est exaspérant…).
Des textes toujours faillibles
Pour être plus convaincante, ma réponse aurait dû être double. Elle aurait dû, tout d’abord, exposer la nature particulière de nos textes. Quel est celui, en particulier, de notre livre de référence (techniquement, notre « livre de discipline », bien que le terme « discipline » prête justement à confusion) ?
Il est une tentative de formulation, dans les termes d’une époque et au regard de ses préoccupations, de ces « inspirations d’amour et de vérité » auxquels le premier de nos Conseils et questions nous incite à être attentifs, car « ils viennent de l’Esprit ». (Avertissement : chez les quakers, on peut identifier cet Esprit au « Christ intérieur » aussi bien qu’à une conscience morale plus ou moins sécularisée.)
Il se présente sous la forme d’un ensemble de témoignages d’Amis individuels ou d’assemblées manifestant cette écoute attentive, mais faillible. On y voit ainsi des tensions et des divergences. On y voit aussi des évolutions, car ce n’est pas un texte figé : chaque génération d’Amis se donne pour tâche de l’actualiser. La diversité et l’évolution de nos témoignages n’est en effet pas seulement possible, elle est activement recherchée, comme tentative toujours renouvelée de s’approcher au plus près de la vérité.
D’un point de vue théologique, c’est le concept de révélation continue qui justifie cette démarche : l’idée que l’Esprit continue de nous parler, génération après génération, et que son message ne se réduit pas à ce que Jésus et les prophètes de l’Ancien testament en ont compris.
Ainsi, vouloir réduire le quakerisme à ses textes est vain : ceux-ci ne sont jamais que des tentatives, des approximations. Ils sont marqués par le langage, les préoccupations et (souvent) les préjugés d’une époque. Les quakers ont souvent été à l’avant-garde des grandes causes sociales (abolitionnisme, lutte pour les droits civiques, lutte pour les droits des homosexuels), mais il n’en reste pas moins qu’il y a eu des quakers esclavagistes, et qu’on peut sans doute encore trouver des quakers racistes et des quakers homophobes.
Il n’y a donc pas lieu de se demander si l’on est d’accord avec tout ce qui figure dans notre livre de discipline ; il n’est pas un ensemble d’articles de foi auquel il faudrait souscrire pour s’engager dans la voie quaker.
Une expérience à faire
Ma réponse aurait dû, ensuite, mettre l’accent sur le caractère expérientiel du quakerisme. Le théologien quaker Pink Dandelion a écrit quelque part que le quakerisme est avant tout un ensemble de pratiques (une orthopraxie) qui invitent à une expérience, et non un ensemble de doctrines (une orthodoxie). Bien que la variation soit là aussi la règle en fonction des pays, être quaker, c’est avant tout accepter de jouer les règles du « jeu » quaker, par exemple celles du culte à base de silence, et de voir si cela nous parle et où cela nous mène. En ce sens, pour vraiment comprendre le quakerisme, il faut en faire l’expérience.
Alors, on y va ?
Sophie est co-secrétaire de l’Assemblée locale de Nantes