En 2009, Ben Pink Dandelion publie Celebrating the Quaker Way, petit livre cherchant à capturer l’essence de la « voie quaker ». Succès immédiat, il a été traduit dans de nombreuses langues. Nous vous en proposons ici une traduction inédite en français, réalisée par nos soins. Quelques pages à la fois, à la manière d’un feuilleton : l’occasion d’en savourer chaque passage et, comme toujours, de venir en discuter sur notre page Facebook. Bonne lecture !
2. Assemblée
Recueillement
Venez au silence d’une assemblée quaker. La sérénité extérieure offre, intérieurement, un espace d’opportunités incroyables et de rencontres fantastiques. « Rentre en toi-même, jusqu’au cœur », et fait l’expérience d’habiter ce lieu nouveau, hors du « monde », loin du matériel, loin du séculaire, ce lieu qui touche les cieux et nous permet de trouver et de sentir Dieu. L’absence mène à la présence. C’est un silence intentionnel, une tentative délibérée pour faire l’expérience d’une rencontre, qui soit plus que l’accompagnement divin dont nous pouvons faire l’expérience à chaque moment, chaque semaine.
Nous sommes partie prenante d’une tradition qui a fait une découverte révolutionnaire : celle du pouvoir qui réside au cœur du silence et qui transforme des vies, des communautés de croyants, et même le monde, par le biais de l’appel à l’action qui émerge de cette relation intime.
Notre expérience du silence est variable, mais nous connaissons son pouvoir et sa valeur. Nous savons qu’il fonctionne, qu’il nous ouvre une voie vers le mystère de la foi. Nous savons que la forme de recueillement unique qu’est celle des quakers est le lieu, le merveilleux lieu dans lequel nous avons besoin de nous trouver.
Le silence du recueillement n’est pas seulement une absence de bruit, un apaisement du monde physique, c’est un voyage intérieur, un « retour à soi-même » en un lieu où l’expérience du sacré est à la fois profonde et aisée. Ensemble, nous nous rencontrons dans le silence, nous nous rejoignons, « nous concentrant tous sur quelque chose que nous partageons », « nous confrontant tous aux mêmes questions dans le silence », unis [gathered], devant Dieu. Nous venons dans l’attente et désarmés. Nous venons dans l’espoir de nous ne savons quoi, l’espoir de la foi. Nous venons avec l’humilité de ceux qui cherchent, de ceux qui sont reconnaissants de ce qu’ils reçoivent, de ceux qui sont avides d’entendre l’appel, de ceux qui sont impatients de travailler avec Dieu pour promouvoir ses desseins plein d’amour. Nous nous présentons comme ceux qui savent que le monde n’est pas aussi bienveillant qu’il pourrait l’être, que l’humanité se fait du mal en même temps qu’à la planète, que nous devons au moins essayer de faire ce que nous pouvons pour aider, et que c’est ce que notre foi requiert de nous, en même temps qu’elle nous aide à accomplir ce que nous discernons comme étant le mieux.
Nous nous présentons aussi avec une conscience aiguë de nos faiblesses, de nos défauts, de nos échecs. Nous aussi avons besoin d’établir de bonnes relations les uns avec les autres et avec le divin, nous aussi avons besoin d’être aidés et accompagnés. Nous nous présentons avec notre propre désir de sentir encore et toujours la magie et la grâce de l’amour de Dieu dans nos vies, la sagesse de Dieu accompagnant nos pensées, la foi que Dieu a en nous quand parfois nous luttons avec notre foi en Dieu ou en nous-mêmes.
Ainsi, nos moments de recueillement, qu’ils soient solitaires, dans nos foyers, ou dans nos assemblées, nous nourrissent ainsi que notre foi, et ils représentent en même temps notre réponse au mystère du divin. Nous sommes assis dans le silence, ouverts à Dieu et nous ouvrant à Dieu. Dieu est là, et nous continuons à faire silence dans l’admiration et l’émerveillement, en prière d’adoration et de gratitude pour tout ce qui nous a été donné. Nous « baignons dans le silence », et nous avons le sentiment que « tout est comme il faut, juste comme il faut ».
« Il y a quelques semaines, je n’étais pas assez bien pour venir. L’heure arrivée, je me suis assis et me suis dit : “Je vais m’assoir ici en silence, c’est l’heure à laquelle je devrais être à l’assemblée”. J’étais seul, mais je me suis assis en silence, j’ai simplement fait le vide dans mon esprit, et soudain je ne me sentais plus seul, j’étais sûr que quelque chose était en train de se passer à l’assemblée et je l’ai senti, et tout au long de cette heure je ne me suis pas senti seul. J’en ai tiré beaucoup de réconfort. »
La beauté du silence est qu’il nous permet de nous lancer où que nous soyons. Nous ne dépendons pas du sermon d’un autre, pas plus que nos dévotions ne dépendent d’une liturgie extérieure. Nos élans de foi reposent là où il se doit, proches de nous dans leur authenticité et leur sincérité, plus proches de Dieu dans leur franchise et leur individualité. « Que l’amour soit le premier élan » : l’amour originaire qui nous anime, celui qui s’exprime dans notre vie extérieure et dans notre témoignage, est le reflet de notre élan vers l’amour intérieur. C’est un élan personnel d’amour, pour nous-mêmes, pour nos amis, pour Dieu, pour le « lieu ultime » d’unité avec le divin que nous découvrons dans ce silence intérieur et extérieur.
Nous passons nos vies en revue. Nous prions. Nous tenons dans la Lumière. Nous réfléchissons. Nous nous sentons liés, réconfortés, acceptés. Nous marchons avec notre guide. Nous nous en remettons à Dieu. Nous faisons confiance. Nous prenons conscience que la foi n’a pas à être totale. Nous voyons que l’espoir est plus important que la croyance. Nous sentons. Nous allons au-delà de la raison, là où l’on a le sentiment que la totalité de la vie est Dieu. Nous ne trouvons rien entre nous et Dieu. La vie devient prière.
J’écris comme si cette rencontre avec Dieu et cette transformation personnelle étaient automatiques et faciles. Il n’en est rien, bien entendu, et beaucoup d’entre nous qui sont assis dans nos assemblées espèrent toujours sentir la présence de Dieu. Peut-être l’avons nous, ou ne l’avons-nous pas, reconnue. Peut-être l’invitation divine n’est-elle toujours pas venue jusqu’à nous. Entre ces moments intenses d’unité [gatheredness], nous apprenons, parfois dans la douleur, à patienter dans l’espoir et l’expectative. En tant que quakers, en tant que membres d’une tradition fondée sur la rencontre intérieure directe et nourrie par elle, nous savons que des milliers d’Amis peuvent et font effectivement l’expérience du divin de manière régulière. Cela ne réconforte peut-être pas ceux d’entre nous qui cherchent encore, mais cela peut transformer un athéisme potentiellement pessimiste et cynique en un agnosticisme optimiste. Croire qu’il vaut la peine de chercher fut l’élan initial qui conduisit George Fox non seulement au désespoir, mais aussi à faire l’expérience cruciale de la rencontre et de la vérité.
Pour certains d’entre nous, c’est souvent hors de nos assemblées que Dieu semble le plus proche, ou que nous nous sentons le plus « là où il le faut avec Dieu ». J’appelle ces moments des « moments sacrés », quand tout semble aligné et congruent. Pour moi, ils se sont souvent produits lorsque je marchais dans les rues de Londres. L’esthétique de l’architecture extérieure, la richesse de la vie de la rue autour de moi, la délicatesse de la cuisine proposée ou la courbure particulièrement gracieuse d’une voiture ancienne : faire partie de ce paysage sacré suscite, au plus profond de mon âme, joie et gratitude. En fait, ce sentiment que j’ai d’être perpétuellement accompagné, et la joie que j’en tire, font que je sens Dieu à portée de main presque partout où je choisis d’être véritablement ouvert.
Aller à une assemblée est donc synonyme d’intentionnalité et de lien sacramentel communautaire. Là, je rejoins d’autres pour faire l’expérience de la « communion à la manière des Amis ». C’est puissant et merveilleux. C’est une cène intérieure. Il y a quelque chose d’essentiel et de précieux dans la régularité et la routine de la discipline de la préméditation. C’est une discipline qui nous invite à rester conscients de la relation avec Dieu, à la mettre au premier plan, à savoir que ce moment d’attente intentionnelle, et l’espoir qui le sous-tend, est exactement ce qui est requis — particulièrement quand nous avons le sentiment qu’il ne nous aide pas, ou que nous ne le méritons pas.
Il y a quelque chose à chérir dans les routines et les rituels des assemblées quakers. Leur familiarité, mais aussi le fait qu’ils nous rappellent notre désir de consacrer du temps à nous concentrer sur ce qui nous accompagne à chaque instant, bien que cela nous soit souvent caché par nos propres occupations. « Suivre le rythme », mais aussi garder la sérénité dans nos vies ne remplace pas le besoin de nous donner, délibérément, des moments d’intimité intentionnelle avec Dieu. « Mon quakerisme réside dans mon assemblée locale — le lieu auquel je reviens toujours, et auquel je veux revenir. »
Ben Pink Dandelion est responsable de programme au Centre de recherche en études quakers de Woodbrooke, professeur associé à l’université de Birmingham et chercheur associé à l’université de Lancaster.
L’Assemblée annuelle de la Société religieuse des Amis (Quakers) en Grande-Bretagne a accordé l’autorisation de traduire Celebrating the Quaker Way en français. Initialement publié en 2009 par Quaker Books. © Ben Pink Dandelion, 2009. Traduction française CC-BY-NC-ND Groupe quaker de Nantes, 2018.