Depuis 20 ans, des quakers africains mènent un travail de guérison et de reconstruction au Burundi, au Rwanda, au Kenya et en République démocratique du Congo. Notre Ami Andrew Peterson, impliqué dans ce travail porteur d’espoir, nous en offre ici un aperçu. Cet article est initialement paru dans le numéro d’avril 2020 de la Lettres des Amis.


À noter : l’African Great Lakes Initiative vient de lancer un appel aux dons pour fournir des produits de premières nécessité aux personnes les plus touchées la crise sanitaire du Covid-19 dans les régions où elle est active.


Les Amis ont plusieurs façons de vivre le témoignage de paix, et notamment « d’essayer de découvrir si nos biens nourrissent les germes de la guerre », comme l’a suggéré John Woolman. Woolman a également vécu le témoignage de paix en cherchant à vivre dans une culture très différente de la sienne, en s’aventurant parmi les Indiens, « afin de pouvoir ressentir et comprendre leur vie et l’esprit qui y règne, et voir si je pouvais recevoir un enseignement de leur part » (Woolman, The Journal, 1774).

Nous pourrions considérer le travail de l’African Great Lakes Initiative (AGLI) comme un projet contemporain inspiré de la même manière que l’exploration de Woolman, encourageant la paix dans une société différente de la nôtre au Burundi, au Rwanda, au Kenya et en République démocratique du Congo. Cependant, cela reviendrait à placer les quakers nord-américains et européens trop au centre, car le travail d’AGLI a été mené presque exclusivement par les quakers africains eux-mêmes pendant plus de 20 ans, avec plus d’une centaine de facilitateurs de chaque pays qui donnent de leur temps pour aider leur communauté.

Le projet a débuté à la fin des années 1990 en combinant l’approche participative du Projet Alternatives à la violence (PAV), développé dans les prisons américaines aux États-Unis dans les années 1970, et la connaissance des traditions de guérison en Afrique du Sud, modifiées par les Rwandais et les Burundais pour répondre à la violence du génocide rwandais et à la guerre civile burundaise. Ce projet s’appelait donc Healing and Rebuilding Our Communities (HROC), « guérir et reconstruire nos communautés », car il visait à la fois à aider les gens à se remettre d’un traumatisme et à rétablir la confiance et les relations entre les membres de communautés déchirées par la violence et la guerre.

En travaillant pour le projet au Burundi pendant un an et demi, j’ai vu en quoi ce projet transformait les villages grâce à la vie de leurs habitants, mais aussi à quel point nous pourrions potentiellement apprendre et être inspirés par leurs expériences et la sagesse qu’ils ont acquise pour faire face à leur traumatisme. Un projet, par exemple, a amené des Burundais aux États-Unis à travailler avec des anciens membres de l’armée américaine traumatisés par leur expérience de la guerre (Vietnam, Afghanistan et Irak).

Malheureusement, je ne sais pas comment le chemin que traversent les burundais confrontés au meurtre de leur famille peut être compris par nos sociétés, où un refus de priorité sur la route peut nous sembler un acte impardonnable. Je ne peux peut-être que vous donner l’exemple d’une histoire que j’ai entendue de Jérôme Birorewuname, que j’ai rencontré en 2008, et qui m’a demandé de la partager :

« Deux fois, on m’a emmené et les gens ont essayé de me tuer. J’ai encore les cicatrices d’une machette sur la tête, le cou et la jambe. Lorsque j’étais dans l’atelier HROC, il y a eu une session où vous partagez vos souffrances, et cet homme a partagé ses souffrances. Il a affirmé que lors des massacres dans notre communauté, il n’était pas présent, mais était à Cibitoke. Je me suis fâché parce que je savais que c’est lui qui m’a emmené voir les tueurs. Ils m’avaient attaché les bras dans le dos et c’est lui qui m’entraînait là-bas. En route vers cet endroit, il me disait des choses terribles dont je me souviens encore. Donc, en colère, je suis sorti. J’ai appelé l’un des animateurs et je lui ai demandé de le rencontrer pendant une heure.

» Avant la formation, chaque fois que nous nous voyions au bar, il s’enfuyait immédiatement. Cela m’est arrivé plus de trois fois. Ainsi, lors de la formation du HROC, j’ai eu l’occasion de lui demander : “S’il te plaît, pourquoi cours-tu chaque fois que tu me vois quand tu es au bar ?” Il dit : “Tu sais Jerome, chaque fois j’étais avec vous, j’étais honteux, je n’avais rien à dire […].” J’ai répondu “Je ne vais pas te tuer ni te demander de payer. Alors s’il te plaît, ne cours plus quand tu me vois.”

» D’où vient ce pardon? […] Je dirais que la prison n’est pas un bon endroit. Il y a ceux qui ont été emmenés en prison et ils sont maintenant rentrés chez eux. Je me demande si la relation s’est améliorée entre la victime et l’auteur. Mais je dirais que cela a empiré. Et cela n’empêcherait pas l’auteur de planifier d’autres choses néfastes. Mais comme je laisse simplement les choses aller, je pense que cela a eu un impact important sur la personne… Par mon comportement, il existe un autre pouvoir qui agit à travers moi pour venir transformer la personne.

» Tout récemment, je revenais de l’église et, par hasard, j’ai reconnu l’une des personnes qui s’était réfugiée en Tanzanie. Il a été surpris de me voir et a dit: “Es-tu toujours en vie ?” […] Il avait beaucoup de bagages et il essayait de trouver un vélo-taxi pour pouvoir rentrer chez lui et trouver quelqu’un pour l’aider à porter le chargement. Le taximan de bicyclette essayait de lui faire payer 3 000 francs burundais (environ 2 euros), alors que cela ne devait coûter que 500. Et il venait d’arriver alors il n’avait pas d’argent. Je lui ai dit: “Ne t’inquiète pas, j’ai un vélo. Prends-le et tu pourras me le rapporter quand tu auras fini.” »

Groupe de veuves de Mutaho, Burundi, août 2008 – Ce groupe de veuves est composé de femmes Hutu et Tutsi ayant d’abord participé à des ateliers HROC, puis monté ensemble de nombreux projets : ici, un magasin communautaire.
Jour de célébration, octobre 2008 – Des personnes ayant participé aux ateliers HROC expliquent à leurs communautés ce qu’ils en ont tiré.
Suivi des élections de 2010 au Burundi – Atelier de préparation
Suivi des élections de 2010 au Burundi – Dépouillement
Suivi des élections de 2010 au Burundi – Comptage des voix
Suivi des élections de 2010 au Burundi – Les observateurs portent des t-shirts du Quaker Peace Network, partenaire du projet

Andrew Peterson est membre de l’Assemblée locale de Nantes et secrétaire du groupe de travail de l’African Great Lakes Initiative ; il a participé au travail de l’AGLI sur le terrain en 2008-2009, et en a tiré un blog

 

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