Les livres en français sur les quakers et le quakerisme existent – il en est même d’excellents –, mais ils restent malheureusement rares comparés à ceux qui sortent en Grande-Bretagne et aux États-Unis. Pour faciliter l’accès à ces livres à un public francophone qui n’a parfois pas le temps ou les capacités linguistiques de se plonger dans ceux-ci, nous lançons une nouvelle rubrique : des comptes rendus de lecture de livres, récents ou non, qui nous ont intéressés, touchés ou amusés. Aujourd’hui, notre Ami Yann nous parle du livre de Judith Roads sur l’art quaker des « minutes ».
J’ai eu l’occasion de lire un petit bouquin épatant signé Judith Roads, une Amie britannique et francophile que l’on retrouve souvent des deux côtés de la Manche – pas en même temps ! – tantôt à Londres, tantôt à Paris. C’est d’ailleurs elle-même qui me l’a remis lors d’une visite à Paris. Ce petit livre, d’une soixantaine de pages, parcourt trois siècles de minutes des assemblées quaker britanniques, américaines et européennes et cherche à comprendre ce qui a changé et ce qui est resté dans le fonctionnement quaker à travers les siècles lors de réunions pour les affaires.
Il est vrai que la prise de note « à la quaker » a quelque chose de très particulier puis que l’on parle avant tout d’une spiritualité « révélée », très oralisée et dont les traces écrites qui perdurent à son propre sujet (les quakers ont beaucoup imprimé mais sur d’autres sujets de société) se retrouvent principalement dans ces sortes de procès verbaux de réunion où l’on consigne toutes les décisions, les questions et les débats qui suivent le rassemblement silencieux pour lequel les quakers sont davantage connus.
Le sujet de la prise de note pouvait paraître austère à première vue et pourtant il est passionnant car on comprend rapidement que dans ces copieux recueils se cachent des hommes et des femmes, leur parole, leur mode de pensée et leur vie quotidienne. Judith a parfaitement capté la dimension symbolique de ces prises de notes.
Sweetness of Unity n’est pas un titre facile à traduire, à part peut-être en parlant de la « douceur de l’unité ». On ressent tout d’abord une grande cohésion et une sincère bienveillance dans les groupes qui se réunissaient. On cherchait par exemple les moyens par lesquels on pouvait aider des Amis dans le besoin, ou des Amis qui semblaient tristes et avaient besoin de soutien moral.
Des préoccupations communes… jusqu’à un certain point !
Ce sentiment d’unité se ressent peut-être encore davantage dans ce qui nous unit nous quakers d’aujourd’hui avec ceux d’hier. À la lecture de certaines minutes datant du XVIIIe siècle ou même du XVIIe, on a l’impression d’avoir été présent à cette réunion tant les sujets sont similaires. « Qui veut bien prendre le relai pour gérer les comptes ? » « Souhaitons-nous soutenir l’action d’une autre assemblée ailleurs dans le pays ? » « Discussion de la proposition d’un projet qui tient à cœur à l’un de nous. » « Que voulons-nous faire remonter à l’assemblée annuelle ? » « Qui y va ? » Et au milieu de toutes ces discussions, des moments de silence qui laissent émerger un consensus ou le report de la décision, sans discussion à chaud, sans besoin d’un vote, simplement par l’émergence d’une évidence. Comme se le demande Judith, ces Amis, si loin et si proches à la fois, se doutaient-ils que des siècles plus tard les réunions se tiendraient dans un format aussi proche, l’ordinateur portable, les réunions Zoom et les réseaux sociaux en plus ?
Il y a quand même des différences notoires, dont certaines peuvent prêter à sourire. Parfois dans les minutes de la réunion, des Amis font bien préciser par écrit qu’untel ne doit pas oublier de rembourser untel, parfois pour de très petites sommes (les quakers se targuaient à l’époque de ne jamais devoir d’argent). Ailleurs, des Amis font inscrire qu’ils s’inquiètent de la moralité de certains Amis qui ne venaient pas à toutes les assemblées. Des aînés étaient alors dépêchés à leur domicile pour leur demander des justifications qui étaient ensuite partagées avec toute l’assemblée à la réunion suivante. Comme le dit Judith, on imagine le roulement des yeux et les sourcils froncés du reste de l’assemblée à la lecture de ces explications jugées peu convaincantes. Certaines offences étaient jugées sévèrement, mais l’assemblée hésitait pourtant quant au sort à réserver à ceux qui s’étaient mariés devant un pasteur ou un prêtre. Pourtant, à chaque fois, derrière l’écriture ampoulée aux grandes boucles assurées, la bienveillance et le désir d’unité ne sont jamais bien loin.
Enfin Judith explore avec beaucoup de précision les différences de langage qui peuvent offrir bien des solutions à nos braves preneurs de notes. On retrouve ainsi des formules du type « Nous avons été menés à penser que… », « cette assemblée s’accorde à penser que… », « il a été estimé que… », et toutes une gamme de formules volontairement impersonnelles pour signifier qu’une unité a émergé de manière collective.
En somme, un voyage passionnant dans la parole des quakers à travers les âges à la fin duquel on arrive à se sentir très proches d’hommes et de femmes vivant dans une époque pourtant bien différente !
Yann Desdevises est sympathisant de l’Assemblée locale de Nantes